Cela créé une véritable immersion pour le public mais peut aussi représenter une pression pour le comédien seul en scène. Cette jolie scène, d'environ six mètres de longueur pour quatre de profondeur, peut sembler de prime abord assez étroite. 

Comment s'y mouvoir en tant qu'artiste et ne pas ressentir un sentiment de cloisonnement. Un rideau noir en fond de scène permet de centrer l'attention sur ce qui se déroule sur le plateau, et aux artistes de disposer de coulisses pratiques.

20h25, l'exaltation gagne du terrain et pour cause, la salle se remplit progressivement tandis que les techniciens peaufinent les ultimes détails d'acoustique et que les humoristes d'ores et déjà présents répondent aux questions du chroniqueur événementiel Tony Sans Permission.

L'ambiance est bon enfant dans la salle : on papote entre amis, on boit un verre voire on mange de succulents hamburgers faits maison et je me mets alors à la place des humoristes cachés derrière ce mystérieux rideau noir.

Des questionnements doivent forcément les titiller, du style :

Comment capter leur attention ? Accrocher leur regard dès les premiers instants ? Comment s'imposer en tant qu'artiste et éviter d'être dérangé par le bruit des clients situés à l'autre extrémité du bar, ceux qui poursuivront leur soirée sans prêter attention à ce qui se joue sur la scène ?

J'ignore si les comédiens se posent véritablement ces questions ou si ils se contentent de réviser leur sketch une ultime fois avant de faire le grand saut.

Ce sont de simples supputations de ma part et je salue préalablement ces artistes, quel que soit le contenu de leur spectacle, pour leur audace et leur capacité à se lancer ainsi dans un " seul en scène " où tous ignorent la réaction du public.

Plongé dans l'obscurité de la scène avec, en fond de décor, le néon rouge lumineux représentant le logo de la Baleine Déshydratée, voilà notre showman paré à prendre le micro pour mettre de l'ambiance devant ce public qui affiche salle comble.

Quelques bons mots, deux trois boutades concernant le port du masque debout, mais pas assis lorsque l'on consomme, Eric chauffe la salle en fournissant un code sonore des plus simples à respecter : du bruit pour applaudir, plus de bruit encore pour acclamer, et une pléthore de bruit pour le huer si d'aventure il nous affuble de public " de merde ".

On rit volontiers car cet homme dégage d'excellentes vibrations,

et dans la vie c'est important d'être entouré de bonnes ondes positives (de grâce, pas de jeu de mot sur cet adjectif que l'on peut qualifier de positivement négatif ou de négativement positif selon le contexte, allez on zappe ! )

C'est parti ! Eric GARNIER laisse séance tenante la place sur scène à la première des quatre humoristes à se lancer.

Son nom de scène, Cab Cab, alias Mademoiselle Cabioch pour son petit nom : difficile pour elle de ne pas ressentir une certaine pression car c'est sur ses épaules que repose le début du show, à elle de bien prendre la température ambiante et de jauger l'engouement dans la salle.

Fraîche et au look volontairement hippie, la jeune humoriste à l'esprit trash nous amène notamment à nous interroger sur l'étymologie de nos noms de famille, elle qui admet que son patronyme signifie littéralement " homme petit et trapus "...

Bon à cet instant, elle sollicite l'assistance pour savoir si des témoins dans le public peuvent transmettre la signification de leurs noms, j'avoue me faire tout petit bien que je le connaisse le mien.... on ne sait jamais ! Originaire de plusieurs communes du Finistère Nord dont les noms débutent tous par " Plou " quelque chose, Cab nous relate ses premiers émois, en tant que fille de paysans, avec un garçon dans un champ de patates afin de bien respecter sa vision des traditions familiales, nous expose la façon incongrue par laquelle elle aura provoqué un AVC sur un autre ex petit ami, le tout avec un air de ne pas y toucher. Son humour fait mouche car elle joue avec le public et monopolise l'espace scénique avec une énergie communicative. Chapeau bas pour ce premier passage réussi.

Vient ensuite Axel RICHARD, jeune homme aux cheveux longs se démarquant d'entrée de jeu par un style diamétralement opposé. En effet, il aborde des sujets plus morbides avec un humour pince-sans-rire. En soit, je n'ai rien contre l'humour noir bien que je ne peux pas me qualifier de " bon public ". Une blague, qu'elle soit grinçante ou graveleuse, peut changer de registre et de qualité en fonction de son interprète.

En l'occurrence, je n'ai pas été conquis par Axel qui, à priori plutôt mal à l'aise, n'est pas parvenu à prendre les commandes de la scène, comme si il récitait ses blagues. Je demeure cependant indulgent car je sais que cet humour est beaucoup plus complexe à véhiculer. Il lui aura manqué une certaine légèreté, une certaine nuance dans son jeu pour permettre au public de rire de bon cœur.

Cette expérience lui sera forcément favorable puisqu'elle lui permettra de comprendre qu'en humour il est essentiel que les références citées soient suffisamment faciles à saisir pour éviter une absence de réaction due à une méconnaissance du sujet. C'est une question d'instant, et un silence peut vite devenir pesant, cette gêne s'étant d'ailleurs matérialisée par la chute de deux verres qui se sont brisés durant ces blancs, comme un besoin de rompre ce dit silence. Une éternelle interrogation me reviendra d'ailleurs à l'esprit à ce moment-là : Peut-on réellement rire de tout ?

Personnellement je n'en suis pas certain, mais je dirai surtout que c'est une question de circonstances.

On gardera en tête qu'il s'agit d'un exercice ô combien périlleux et que ces scènes ouvertes en mode " stand-up " sont à juste titre faites pour enseigner les rudiments du direct en one-man-show. Aussi je félicite Axel pour cet essai.... à renouveler très prochainement !

Pour ce faire, place à Lou-Anne, une boule d'énergie dont le dynamisme transparaît dès les premières secondes.

À l'instar de sa consœur Cab Cab, elle prend véritablement possession de la scène et on l'écoute avec plaisir nous faire état de ses problèmes existentiels avec beaucoup d'auto-dérision.

Avec elle, on a le droit à la totalité des problèmes féminins de sa génération : l'impression d'être constamment en surpoids, le principe de parvenir à saturer l'application Tinder après avoir " slidé " tous ses nombreux soupirants, son incapacité à se détacher de son image de petite dernière préférée des parents, et ce jusqu'à l'arrivée d'un neveu non désiré.... d'elle-même !

Et enfin, elle nous expliquera en long, en large et surtout en travers son incompatibilité à devenir un jour mère. Trop de contraintes et, selon ses dires particulièrement crus, avoir une conversation avec un enfant en bas âge est aussi enrichissant que de discuter avec un adulte tétraplégique !

Cette boutade n'est pas du meilleur effet mais l'ensemble tient la route. L'humour de la demoiselle, volontairement piquante, est dans l'air du temps et n'est pas sans rappeler une certaine Mademoiselle Poux. C'est mon coup de cœur de la soirée.

Pour clôturer ce quatuor d'humoristes, Kevin Robin prend les choses en main.

Il n'est pas un inconnu de la scène puisqu'il fut en Janvier 2020, le lauréat des Tremplins de l'Humour organisé dans le cadre des Dayconnades et plébiscité au Parc des Expos de Penvillers.

Dès ses premiers mots, on sent qu'il aborde la scène avec davantage de professionnalisme. Il se montre d'emblée plus à son aise que ses prédécesseurs puisqu'il arrive muni de sa bière qui lui sert à se rincer le gosier entre deux esclaffements.

Concrètement, son humour de prédilection n'est pas nécessairement celui que j'affectionne le plus. En effet, hormis une auto-dérision assumée concernant son petit nom et une facilité notoire à jouer avec le public, ses blagues tournées autour des flatulences ne m'emballent pas des masses. Ce que j'apprécie chez lui c'est son aisance scénique, il prend le public à témoin, rigole avec lui, joue le bon pote et surtout parvient à glisser ça et là quelques remarques sensées, comme celle stipulant qu'il faudrait cesser, dans un monde parfait, de jouer un rôle, paradoxal lorsque l'on se retrouve soi-même sur scène, et jouer davantage la carte de l'authenticité.

Ses blagues, que je les trouve à mon goût ou pas, remportent les suffrages et l'ensemble confère une impression d'improvisation plutôt impressionnante, comme si Kévin était en mesure de raccrocher les wagons quoi qu'il arrive, signe qu'il fait partie des grands !